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Faire pays dans un pays, c’est mettre sur pied une nouvelle légitimité en face, à côté, en-dessous, au-dessus, comme on voudra, de la légitimité existante. C’est donc mettre en place des contre-dispositifs, des institutions autonomes, des caisses communes, des assemblées autogouvernées qui fédèrent de façon non capitaliste, solidaire et égalitaire des populations, voire des peuples, dans des territoires organisés autour de bassins versants de ruisseaux, de rivières ou de fleuves. C’est donc littéralement un pays dans le pays, puisqu’il s’agit bien de redéfinir des (petits) territoires politiques sur une carte existante. Il s’agit donc de faire coexister cette carte en train de s’élaborer avec la carte actuelle. Cette concomitance durera le temps qu’une de ces légitimités se montre plus désirable que l’autre.
Ainsi qu’il est dit dans le Manifeste, le mot pays s’entend par antithèse à Nation, Etat ou Région. Il évoque plutôt des notions nommant un environnement référentiel commun comme quand on dit « pays de Charleroi », « pays de Herve » ou « pays de Caux » et correspond plus à l’acceptation administrative française : « Les pays sont des territoires qui ne sont ni des collectivités territoriales, ni des cantons, ni des [https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tablissement_public_de_coop%C3%A9ration_intercommunale|établissements publics de coopération intercommunale]. (Ils sont les) produits d'une démarche volontaire et contractuelle (…) »
Si nous insistons sur la notion de « pays », ce n’est pas seulement pour faire pièce à l’idée de Nation et à tout ce qu’elle entraîne, c’est aussi pour répondre aux tentations ou aux volontés d’isolement et de repli sur soi d’un certain nombre de propositions de transition qui se vivent comme des oasis ou des isolats. Le pays dit la reliance, le voisinage, le collectif, le commun. Il ne dit pas l’exception, le modèle ou l’écart.
**A la patrie, des patriotes.**
**Aux nations, des nationalistes.**
**Au pays, des paysages**.\\
Faire pays dans un pays suppose trois choses :
Si nous pensons qu’il faut mettre sur pied cette nouvelle légitimité
Avons-nous des raisons raisonnables de ne pas oser ?
Pour construire cette autre légitimité, il est nécessaire de mettre sur pied des institutions autonomes et des contre-dispositifs qui rassemblent et fédèrent des populations à partir de leur territoire de résidence et de la vie qui les peuple. Et afin de rendre visible et flagrante cette proposition de transformation, nous proposons de changer le cadre de représentation symbolique et physique du politique en travaillant sur base de territoires constitués à partir de bassins versants de cours d’eau où des assemblées de ruisseaux, de rivières, de fleuve et de bassin, rassemblant entre 5.000 et 10.000 personnes et agissant de façon horizontale et reliée organiseraient la parole et la décision publiques.
La proposition de redécoupage des territoires via une approche privilégiant le flux des eaux n’est évidemment pas neutre et si elle entre évidemment en résonance directe avec la question environnementale, elle offre aussi la possibilité de formaliser des engagements territoriaux plutôt que de constituer une identité locale. Cette idée de bassins versants se rapproche de celle des bio-régions, sans en épouser toutefois tous les attendus (précisément en matière « d’identité » et « d’invariants » locaux). Nous parlons pour notre part d’engagement commun et pas d’identité collective : ce n’est pas le ruisseau, la rivière ou le fleuve qui constituent a priori le liant du territoire, mais c’est la manière dont le ruisseau, la rivière ou le fleuve peuvent le construire.
Nous savons évidemment fort bien que les flux collectifs ou individuels des personnes ou des biens ne sont plus liés aujourd’hui à des éléments naturels, comme des rivières ou des fleuves, mais sont guidés par d’autres types de flux – des zones de chalandise aux flux complètement dématérialisés – et que les bassins de vie ne sont pas forcément les bassins versants des ruisseaux. Mais c’est précisément la raison pour laquelle nous appelons à une communauté de dessein et non pas de destin. Car nous ne sommes pas obligés d’épouser les modèles géographiques qui produisent et reproduisent les modèles du capital et de ses flux. Nous pensons que les « territoires bassins versants » sont plus à même de proposer des « territoires biens communs » que les « territoires flux », d’autant plus qu’ils n’appartiennent plus à aucune lecture ou pratique sociopolitique du territoire, comme on le verra un peu plus loin.
En outre, si les cours d’eau – et les engagements auxquels ils mènent – sont conducteurs d’un certain nombre d’enjeux touchant certes à la qualité (pollutions, empoissonnement,…) et à la quantité (asséchement, disparition.,..) et représentent en soi l’un de nos « communs » les plus sensibles (l’eau est un enjeu géopolitique majeur), ils sont aussi naturellement - par leur cours allant de l’amont vers l’aval - le symbole très concret de la chaîne de co-responsabilités dont dépend le vivant, laissant clairement apparaître le lien qui va des causes aux conséquences. Déverser du produit chimique en amont contamine bien entendu l’ensemble de ce qui coule vers l’embouchure et plus loin. En cela, les cours d’eau sont des sujets politiques de première importance.
En tout état de cause, la proposition de « faire pays dans un pays » permet d’investir politiquement des espaces qui ne le sont pas. On dira qu’il existe des « contrats de rivière » qui lient un certain nombre d’acteurs, y compris les élus, au sein d’une structure de veille et de sensibilisation aux enjeux hydrauliques et aquatiques. C’est vrai et si le travail de terrain est à saluer, à encourager et sans doute parfois à rejoindre d’une quelconque façon, il reste que ce n’est pas ce que nous nommerions « investir politiquement » des espaces. Ces structures, à vocation plutôt techniques, sont le reflet des intérêts des institutions en présence (élus, acteurs économiques, scientifiques, pêcheurs, agriculteurs, …) et d’une vision territoriale basée notamment sur l’idée de « gestion de la ressource » qui est le contraire de ce que suppose « faire pays dans le pays ». Le ruisseau, la rivière, le fleuve ne sont pas des objets du politiques dans « le pays », mais sont des sujets politiques en soi.
Enfin, si la construction de pays dans le pays ne tient pas compte du découpage territorial municipal existant (de toute manière, les territoires municipaux ne recoupent pas systématiquement - c’est même assez rare - le bassin versant d’une rivière de la même façon qu’une même municipalité peut contenir un certain nombre de ruisseaux différents donnant lieu à l’existence potentielle de plusieurs petits « pays » dans une même entité administrative), c’est afin d’éviter une confusion de sens malheureuse. Ces « pays dans le pays » ne sont pas destinés à entrer dans une concurrence de type électorale avec les pouvoirs municipaux en place ou à venir. Ils sont destinés à installer une situation de légitimité plus désirable que celle existant, ce qui est fort différent. D’autant que les matières dont pourraient s’emparer ces assemblées ne sont pas non plus comparables à la gestion des municipalités telle qu’on la connaît et qu’on la pratique d’ordinaire. On le verra un peu plus loin.
Mais concentrons-nous un instant sur ce que les bassins versants offrent comme possibilités d’une redéfinition territoriale partant des ruisseaux jusqu’au fleuve lui-même en finissant par une assemblée de bassin. Nous parlons donc de doter d’assemblée(s) autogouvernée(s) chaque ruisseau, chaque rivière ainsi que le fleuve lui-même et pourquoi pas donc le bassin. Concrètement, il existe cinq bassins versants d’inégale importance sur le territoire de la Belgique (si nous le prenons pour un court moment encore comme référence) : la Meuse, l’Escaut, l’Yser, le Rhin(par la Chiers) et la Seine (par l’Oise). Le bassin versant de la Meuse pour prendre cet exemple concerne tant les États français, belges et néerlandais (avec une petite excroissance au Luxembourg et en Allemagne) en essaimant en 285 affluents directs ou indirects tout au long de son parcours (un bassin qui, entre autres questions communes, compte notamment le nucléaire présent à Chooz et Tihange situés dans des États différents). Les autres bassins situés dans l’espace belge comptent ensemble un nombre d’affluents et de sous-affluents à peu près équivalent. On dira que c’est beaucoup fragmenter le territoire. Mais pour nous ce n’est pas fragmenter, c’est augmenter la capacité de créer du commun abordable, compréhensible et aisément partageable. Plus il y aura de « pays dans le pays », avec un territoire d’autant plus morcelé, plus il sera possible de privilégier une forme de participation politique démocratique tenable. C’est ce point que nous allons aborder maintenant.
**Plus il y aura de pays dans le pays,**
**plus les territoires seront morcelés,**
**plus la démocratie sera effective.**
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Car si la vision territoriale à partir des bassins versants nous parait importante notamment dans son rapport aux formes du vivant et aux interdépendances qu’elle met en lumière, elle nous parait toutefois insuffisante pour garantir l’exercice d’un autogouvernement fédérant de façon non capitaliste, solidaire et égalitaire les populations d’un territoire et prenant en compte les dimensions sociale, écologique, politique, culturelle et économique évoquées plus haut. Nous proposons donc également de constituer, dans ces bassins versants, des territoires comptant entre 5.000 et 10.000 personnes. Ce chiffre nous semble plus à même de permettre l’exercice d’un autogouvernement efficient et d’une délibération démocratique véritable.
Ce chiffre de 5 à 10.000 personnes est celui qui est couramment cité par les partisans du communalisme libertaire de Murray Bookchin comme base démocratique souhaitable, celui qui est utilisé dans le cadre des Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée en France, celui aussi qui est notre jauge dans les quartiers ou les bourgs où nous intervenons avec les Bri-Co. Le travail effectué dans le cadre de l’éducation populaire s’approche souvent également de cette démocratie démographique tenable. C’est approximativement le nombre d’habitants d’un gros quartier en ville.
Il est cependant peut-être utile de rappeler ici qu’avant la fusion des communes de 1977, la Belgique comptait 2 359 communes pour 581 à l’heure actuelle (et la Wallonie 1231 communes pour 262 de nos jours). Il y a donc eu une très longue période (depuis même avant l’indépendance du pays jusqu’en 1977) où le morcellement des gouvernements n’apparaissait pas comme un frein au bien-être de l’Etat en général. Dans notre cas, si nous appliquions la simple division de la population par des assemblées : cela donnerait pour la Wallonie (3.600.000 habitants) un total d’entre 360 et 720 assemblées (selon que ces assemblées rassemblent 5 ou 10.000 personnes) : soit de toute manière bien moins donc qu’avant 1977 où la population était aussi plus faible (3.160.000 personnes) … Il est intéressant de noter que nous venons donc d’une situation où, sur le territoire wallon, la population moyenne d’une commune était d’environ 2500 personnes. Que cette situation ait été jugée inefficace à un moment où les premières tentatives d’installation concrètes de régimes néolibéraux voyaient le jour dans le Monde (Chili, 1973) et où l’État Providence était questionné par les crises pétrolières (1973 également) entraînant et accentuant un désarroi industriel profond parait, avec le recul, participer de cette même recomposition sociopolitique mortifère que nous combattons toujours aujourd’hui.
Pour autant, tenons ce chiffre de 5.000 ou 10.000 personnes comme un socle ou un seuil à partir duquel élaborer, lors de la constitution des assemblées, la construction du « pays ». Un pays est d’abord ce qu’en feront les retouches, les débats, les précisions que les assemblées apporteront au moment de sa définition géopolitique.
**Un pays c’est un bassin,**
**une population, un débat**
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Les matières dont pourraient s’emparer de telles assemblées de ruisseaux, de rivières ou de bassin ne sont pas des doublons, des copies, des redondances des matières dont la municipalité s’occupe. Autrement dit, ces assemblées ne sont pas des conseils municipaux alternatifs et il est important de garder cette possibilité aussi étroite que possible pour les raisons signalées plus haut.
En revanche, il est essentiel que ces assemblées s’emparent de questions qui, selon les mots du Manifeste, entendent, d’une part, doter le futur d’une mémoire et travaillent, d’autre part, à la préservation des conquis sociaux, à la mutualisation et de mise en commun de temps, de territoires, de connaissances et de moyens ainsi qu’à la reconquête de chaque rue, chaque maison et chaque recoin du pays.
A titre indicatif, voici quelques exemples de matières que de telles assemblées pourraient porter :
Tout ceci étant donné à titre de nourriture stimulante, rien n’ayant encore été réellement discuté ni a fortiori retenu… Ces suggestions sont notamment issues d’un certain nombre de propositions de mouvements ou associations (MAP, Attac, agroécologie, etc..).
La constitution de telles assemblées autogouvernées se fonderait dans un premier temps sur « qui est là » sans prétention de représentation de la composition du territoire. Les décisions et les répartitions des tâches et des rôles se feraient avec possibilité de révocation et temporalité de la fonction. Ces fonctions et rôles seraient affectés de façon horizontale par un procédé que le groupe initial déterminera (tirage au sort intégral, tirage au sort modéré par une élection par candidature, élection par candidature, élection sans candidat, etc…)
Il est temps maintenant d’aborder la façon de commencer à mettre sur pied les conditions de réalisation du pays. Quelle méthodologie pour faire pays dans le pays ? Par quoi commence-t-on ? Il y a au moins deux propositions possibles.
Cela suppose une diffusion large et volontariste pour faire connaître la proposition du « pays » et donc de faire campagne afin de récolter des adhésions. Une telle campagne suppose la construction d’un argumentaire et d’un matériel de présentation à la hauteur de la proposition (organisation site, formulaire en ligne, documents papier, création d’un logo, réunions locales, relais locaux, … ). Les adhésions individuelles pourraient par exemple être basées sur base des volontés ou des effectivités de dépossession de terres (voir scolie dépossession), de temps ou de moyens. La rédaction d’une charte plus courte que le manifeste et moins technique que le manuel peut aussi être envisagée.
Propositions de critères permettant de discriminer des situations ouvrant la perspective de faire pays (liste en partie discutée à Arlon)
Quoi qu’il en soit, afin de soutenir ces commencements, la présence de contre-dispositifs comme les Bri-Co et les marches pourront être convoqués. A part cela, il est nécessaire de doter le pays, outre le Manifeste et ses scolies, d’un Manuel permettant de trouver réponse à une série de questions concrètes.
(à suivre, notamment avec les conquis sociaux et politiques à emporter)